Tourisme communautaire : entre gouvernance partagée et autonomie locale, quel rôle jouent les pouvoirs publics ?
28 Juil 2025

Tourisme communautaire : entre gouvernance partagée et autonomie locale, quel rôle jouent les pouvoirs publics ?.

Porté par des organisations locales issues de la société civile, le tourisme communautaire vise à renforcer l’autonomie économique, sociale et culturelle des populations. À mesure qu’il gagne en visibilité internationale, il soulève une question centrale : quel accompagnement les pouvoirs publics peuvent-ils offrir à ces initiatives ?

Le 20 mai 2025, la table ronde organisée par le Groupe de Travail « Tourisme Communautaire et Équitable » de l’Organisation Internationale du Tourisme Social (ISTO) a mis en lumière des regards croisés sur ce sujet. Deux membres d'ISTO ont partagé leurs expériences :

Des attentes précises vis-à-vis des pouvoirs publics

L’appui des autorités publiques est attendu à plusieurs niveaux. D’abord, sur le plan infrastructurel : de nombreuses zones rurales manquent de routes, d’eau potable, d’électricité ou de connexion Internet, freins majeurs au développement touristique. Un soutien en investissement des pouvoirs publics est donc perçu comme une condition essentielle à la viabilité des projets.

L’enjeu de la professionnalisation des organisations de la société civile porteuses de projets touristiques est également souvent mis en avant : besoins en formation, renforcement des capacités locales, accompagnement à la formalisation juridique ou fiscale… Les organisations communautaires sont en demande d’un soutien public qui respecte leur rythme et leurs spécificités culturelles, et qui ne se limite pas à une approche descendante ou standardisée.

Enfin, les communautés attendent de l’État qu’il soit garant de la durabilité. Dans les régions soumises à la pression touristique ou à la spéculation foncière, l’intervention publique est cruciale pour protéger les ressources naturelles et assurer que les bénéfices du tourisme reviennent bien aux habitant·es.

Une gouvernance partagée encore en construction

La relation entre communautés et pouvoirs publics reste complexe. Certaines expériences, comme en Basse-Californie (Mexique), témoignent d’une volonté d’intégration des communautés autochtones dans les politiques touristiques. Mais ces exemples demeurent rares. Dans bien des contextes, les pouvoirs publics privilégient encore l’entrepreneuriat privé individuel, jugé plus rentable, au détriment des formes collectives de gestion.

Les organisations communautaires demandent à être associées aux décisions, non pas de manière consultative, mais comme véritables co-gestionnaires des politiques touristiques. Cela suppose la mise en place d’espaces de dialogue à l’échelle des territoires : comités multi-acteurs, plateformes interinstitutionnelles, plans d’action partagés…

Certains territoires tentent d’articuler différents niveaux d’intervention autour d’objectifs communs – durabilité, égalité des genres, valorisation culturelle. Mais ces dynamiques restent souvent freinées par des logiques administratives rigides, un manque de continuité politique ou une sous-estimation du rôle des savoirs locaux.

Entre coopération et indépendance : un équilibre délicat

Les relations entre initiatives communautaires et institutions sont souvent ambivalentes. D’un côté, les acteurs du tourisme équitable reconnaissent que l’appui public peut renforcer leur visibilité, faciliter l’accès aux financements, et permettre une meilleure intégration dans les politiques sectorielles. De l’autre, ils dénoncent les risques d’instrumentalisation : des projets utilisés à des fins de communication institutionnelle, sans réelle reconnaissance de leurs objectifs ni de leur ancrage social.

Cette tension conduit de nombreuses structures à rechercher des formes de partenariat souples. Elles choisissent les collaborations publiques à condition que celles-ci garantissent la participation des habitant·es et respectent les modes de gouvernance collectifs. Elles s’engagent dans un dialogue critique avec les autorités, acceptent des coopérations ponctuelles, mais évitent les dépendances prolongées.

Ce positionnement reste difficile à tenir dans certains contextes où les administrations sont peu ouvertes à la concertation ou influencées par des logiques marchandes. À l’inverse, la fragilité économique de certains projets les rend vulnérables à une trop forte dépendance vis-à-vis des financements publics.

Un projet politique d’émancipation

Le tourisme communautaire défend la souveraineté des populations sur leurs territoires. C’est une vision politique du développement, fondée sur l’autodétermination locale. Plutôt que de subir des investissements exogènes, les communautés choisissent un développement endogène, construit à partir de leurs priorités.

Cette approche rejoint d’autres luttes, comme celles pour la souveraineté alimentaire. Dans de nombreuses zones rurales, un tourisme respectueux des modes de vie locaux peut contribuer à maintenir des populations sur leurs terres, à diversifier leurs revenus, et à renforcer leur résilience.

Des mécanismes de décision collective existent déjà dans plusieurs régions. Au Mexique, par exemple, les assemblées ejidales permettent aux communautés autochtones de débattre collectivement de l’accueil de projets touristiques. Ce type de régulation locale, adossée à une reconnaissance institutionnelle, garantit que le développement ne se fasse pas au détriment des populations.

Dialoguer entre territoires

Le tourisme communautaire prend des formes diverses selon les contextes. En France, par exemple, des initiatives portées par des associations, des coopératives ou des collectifs d’habitant·es s’inscrivent dans la même logique, même si elles ne sont pas toujours identifiées comme telles.

Il est essentiel de renforcer les dialogues entre territoires, qu’ils soient Sud-Sud, Sud-Nord ou Nord-Nord. Ces échanges nourrissent une culture commune du tourisme équitable, basée sur la souveraineté locale, le respect culturel, la durabilité environnementale et la redistribution équitable des bénéfices. Les espaces de dialogues multi-acteurs tels qu’ils existent au sein d’ISTO sont ainsi essentiels pour apprendre collectivement et faire évoluer collectivement les pratiques en faveur de la durabilité sociale du tourisme.

Pour une alliance respectueuse des communautés

La table ronde l’a rappelé : le tourisme communautaire n’est pas une succession de projets, mais un levier de transformation sociale. Il repose sur l’idée que les communautés doivent être aux commandes de leur propre développement. Le rôle des pouvoirs publics, dans ce cadre, ne peut être que d’appui. Il doit se construire dans le respect des initiatives locales, sans chercher à se substituer aux dynamiques communautaires.

Les professionnel·les du tourisme équitable, les ONG, les institutions et les collectivités ont une responsabilité collective : inventer de nouvelles formes de coopération, plus justes, plus équilibrées, où les priorités des habitant·es priment sur les logiques de rentabilité à court terme. C’est à cette condition que le tourisme communautaire pourra devenir un vrai moteur d’émancipation.

Dans cette perspective, le tourisme communautaire peut devenir un levier puissant de transformation sociale, à condition d’être reconnu comme tel dans les politiques publiques à tous les niveaux.

Article rédigé par Coralie Marti (ATES).